Interview de Serge BERTOCCHI


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Comment avez-vous rencontré Yochk'o Seffer?

Le hasard là encore. Il cherchait un baryton pour former un quatuor avec Alain Bouhey ... j’étais un des rares jeunes musiciens à en avoir un (gagné en partie à un concours ) ... et j’ai été recruté dans l’Europa Quartet, pour un projet Script-Oral sur des musiques de Seffer et des textes de Bouhey. Je n’avais encore jamais été confronté au jazz, et n’avais aucune formation dans ce sens. J’ai d’ailleurs assez vite suivi des cours d’improvisation et d’arrangement avec Yochk’o, pour compléter les carences d’une formation vraiment trop académique.

Quelles sont les formations dans lesquelles vous avez joué avec lui (Septuor de saxophones, ...) et pendant combien de temps?

Après l’Europa quartet, il y a eu de Septuor de Saxophones, puis un quintette autour des Sculptophonies, puis Chromophonie, le Big Band Coltrane Forever, Le Big Band YOG, et des projets plus ponctuels. J’ai hélas raté l’occasion de la refondation du septuor de saxophones, car déjà engagé par ailleurs à ce moment là.

Pour chacune des formations, comment se montait le répertoire ?

En général, Yochk’o écrivait l’intégralité du répertoire puis contactait les musiciens. Il fonctionne beaucoup sur des coups de coeur, des idées de projets, puis développe une force de travail invraissemblable pour l’écriture du répertoire.

Y-a-t-il eu beaucoup de répétitions? Quelle en était l'ambiance ?

En général, il en fallait car l’écriture Sefferienne est assez virtuose. C’est d’ailleurs pourquoi il ne rechignait pas à faire appel à des musiciens classiques, mieux en mesure de lire ses partitions à ce moment là. Il a été un vecteur de brassage entre des musiciens de provenance très différente, je pense que nous sommes nombreux à l’en remercier.

Que vous a-t-il apporté en tant qu’être humain, en tant qu’instrumentiste, en tant que compositeur ?

Vaste sujet là encore. Yochk’o est une locomotive : on décide de monter ou d’attendre le train suivant, mais l’expérience est riche et généreuse avec lui. J’ai coutume de dire que si Jacques Net m’a appris à jouer du saxophone, le CNSMDP à être un solide concurrent pour les concours, Yochk’o m’a enseigné ce qu’était la musique. En travaillant puis en jouant avec lui, j’ai compris qu’on ne m’avait pas tout dit, qu’on m’avait amusé avec des aspects importants mais secondaires pour un musicien : propreté technique, solidité à toute épreuve tant mentale que rythmique ...
Avec lui, je découvrais qu’il existait un monde différent où l’énergie et la générosité prenaient le pas sur la sécurité ; c’est sur scène, en conditions réelles que se vérifiaient ses choix, et cela pour le bonheur du public !! Jusque là, la dimension “représentation” de la musique m’avait complètement échappé et rien ne m’y avait préparé.
Comme musicien, Yochk’o reste pour moi un modèle également : je n’ai jamais essayé (je crois) de copier son jeu ou sa sonorité, mais il m’a forcé à chercher à développer une largeur de son qui ne serait pas venue d’elle-même ... Mais aussi en étudiant avec lui les diverses possiblités offertes par l’improvisation et l’arrangement, je me suis découvert comme “créateur” potentiel : sa culture est très vaste et il sait s’adapter à chacun selon ses besoins.
Je pense que cette rencontre et celle à peu près simultanée de Georges Aperghis et du théâtre musical ont été pour moi fondatrices : il étéait possible de faire une musique sans concession à la facilité ou la frivolité, tout en réussissant à séduire et “emporter” son public.

Comment concilier l’approche écrite des œuvres auxquelles vous vous êtes frotté, et le côté plus libre de certains passages des œuvres de YS ?

Je pense que cette doble leçon (improvisation, théâtralisation du geste) m’a été salutaire et que je l’applique à chacune de mes prestations personnelles, quelles qu’en soit le domaine. Pour moi, il n’y a pas antinomie entre écriture et liberté. Quant à l’improvisation proprement dite, il s’agît d’une culture particulière qui doit elle aussi se construire. On commence par être débutant, quel que soit le niveau instrumental de départ. Ce qui est difficile à admettre, précisément quand ce niveau de départ est (ou semble) élevé. L’improvisation comporte des enseignements très importants pour un interprète, surtout quand elle est de forme peu conventionnelle et ouverte. La frontière est (peut-êtrre devrais je employer le passé : “était”) mince entre un certain jazz contemporain issu du free et la musique contemporaine non académique. Les matériaux sont semblables, rythmes et mélodies sont souvent complexes et ne cherchent pas seulement à charmer, tout comme l’harmonie. Reste la forme, qui peut souvent être plus élaborée dans les oeuvres écrites, mais là aussi des principes de destruction des conventions sont en oeuvre dans tous les domaines musicaux.
Pour répondre plus directement à la question, je dirais que le fait de travailler avec le compositeur (classique ou jazz) permet de désacraliser la partition : tout devient négociable jusqu’à un certain point, et on choisit presque toujours l’efficacité si elle s’oppose à l’idée. Cette démarche permet ensuite de reprendre des oeuvres écrites avec plus de liberté, en faisant des choix personnels sujets à discussion, éventuellement. Mais bien des chemins peuvent mener au même résultat. L’étude de la musique baroque, par exemple.

Quelle place laissait-il aux solistes?

J’ai eu la chance grâce à lui de côtoyer de musiciens d’un calibre exceptionnel au sein des orchestres : Henri Texier, Siegfried Kessler, Linley Marthe, Jean-Mi Truong, François Méchali, Sylvain Kassap, François Jeanneau, Stéphane Guillaume, Jean-Charles Richard, Erik Seva, Barry Altschul, Daniel Casimir, Philippe Legris, Michel Godard, Denis Leloup ... il était logique de leur laisser la part belle pour les impros. Yochk’o m’a parfois sollicité, mais je ne pense pas que j’étais prêt à ce moment là ...
Yochk’o a toujours beaucoup joué lui-même mais il pouvait aussi être un remarquable accompagnateur, poussant le solistes dans ses extrèmes retranchements ...

Des anecdotes particulières sur des concerts joués avec Yochk'o ? Sur les enregistrements que vous avez pu faire avec lui?

Il y avait toujours ces histoires avec les structures qui changent au dernier moment (en particulier dans les impros)... et où tout le monde est concentré à mort pour que l’orchestre arrive à repartir au bon moment. N’oublions pas que les orchestres étaient toujours composés de musiciens de cultures hétéroclites : des classiques comme moi, incapables de compter 32 mesures, des improvisateurs non lecteurs qui jouaient magnifiquement mais pas toujours la même chose ... la communication pouvait parfois être difficile et mener à de l’incompréhension. Par miracle, en général, tout s’est toujours bien passé.
Il y a aussi eu ce moment de répet difficile pour Coltrane Forever, où il fallait battre une mesure pour mettre l’orchestre en place sur la bande. Yochk’o battait un peu raide et on continuait à avoir du mal ... je me suis proposé de le faire à sa place et ... catastrophe, je n’entendais plus rien tout à coup ! C’était bien pire, et pas calé du tout ... je suis retourné penaud à ma place sous les rigolades retenues des camarades de pupitre ...
Evidemment, un des grands moments a été ce concert où Sigfried Kessler se versait un café au moment de prendre son chorus ... on a eu droit à un sketch mémorable entre Yochk’o et Segi. Je suis sûr que le public a cru qu’ils avaient répété. Ou bien suis-je le seul à ne pas savoir qu’ils avaient préparé le truc ....

Serge Bertocchi, janvier 2009, propos recueillis par Jean-Jacques Leca